(article P.22 du Mag Juillet 2021)

L’amour de la bonne cuisine 

Le journaliste Perico Legasse nous fait l’honneur de sa présence lors des entretiens littéraires de l’été à Cavalaire le dimanche 25 juillet à 19h, avant sa venue, il s’est prêté avec nous au jeu des questions-réponses.

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perico_entretiens.jpg, par Ludivine

 

1) Vous avez dit lors d’une interview, « le terroir c’est la France », Cavalaire et plus largement la Provence constituent un terroir fort, est-ce que vous pouvez nous en parler ?
Il va sans dire que la Provence est le symbole même du terroir, concept qui associe la géographie, le climat et la végétation à la façon dont les hommes s’adaptent à cet environnement. La tradition provençale est la consécration de cette lecture, avec des paysages fabuleux, une terre où tout pousse, une flore et une faune exceptionnelles, un littoral prodigieux de beauté permettant d’accéder à une mer légendaire, et, bien sûr, un temps de rêve, à peine bousculé par le mistral, le plus sain des vents occidentaux, qui transforme ce coin de planète en paradis. L’identité provençale procède de cette équation. La côte varoise est le fleuron du bassin méditerranéen et le monde entier veut y vivre. Quant aux Provençaux, ils furent un peuple à part entière, avec sa culture et ses valeurs. De cette réalité proviennent les patrimoines agricoles et viticoles ayant engendré cette formidable tradition culinaire dont tous les grands chefs se sont inspirés. Il faut comprendre que la Provence est à la croisée des civilisations antiques et qu’elle s’est imprégnée à travers les siècles de toutes les cultures ayant transité sur son sol. Rien de tel pour se constituer un trésor alimentaire qui traverse les âges. Nul doute que la cité Heraclea Caccabaria ait accumulé depuis tant de siècles les richesses d’un univers fondé par les Phéniciens puis les Phocéens ayant le bonheur, et le bon goût, d’accoster entre la pointe du Dattier et le cap Lardier. Que ce pays devait être sublime... Il en reste certainement quelque chose. A nous de le préserver et de le transmettre.
 
2) Vous avez déjà parlé lors de vos différentes interventions de l’importance et du lien entre la nourriture et les grands enjeux de la politique, pouvez-vous nous en dire plus ? 
Je résume la situation en trois mots, qui sont le titre de mon émission sur Public Sénat : Manger c’est voter. L’acte alimentaire est devenu un acte citoyen, donc un acte politique. Du contenu de notre assiette, de nos choix alimentaires, en gros de notre façon de consommer, dépend l’avenir de cette planète et l’état de la société que nous laisserons à nos enfants. Se contenter du moins cher, à décongeler au plus vite dans un four à micro onde pour l’ingurgiter en trois bouchées est une nouvelle forme de barbarie. Bien manger ne coûte pas cher si on le décide, en prenant le temps de savoir ce que l’on veut, et le temps de le préparer. Il est faux, mais si facile, de dire que bien manger coûte cher. En revanche mal manger coûte très cher, avec des conséquences sociales, économiques et sanitaires calamiteuses. Encourage la nourriture industrielle, artificielle, hors saison, saturée de chimie et de technologie, conduira notre planète au chaos en détruisant les ressources naturelles. On disait autrefois que l’on creuse sa tombe avec ses dents, par allusion aux excès alimentaires. C’est de plus en plus vrais, mais pas pour les mêmes raisons. C’est la tombe de l’humanité que l’on creuse lorsque l’on ne se nourrit plus que de sandwichs rapides, de pâte à tartiner et de boissons sucrées…
 
3) D'après Simenon, « la bonne cuisine, c’est le souvenir », quelle est la cuisine que vous associez au sud ? 
Trois saveurs me viennent à l’esprit, celle de l’olivier, celle du citronnier et celle du rosier, avec une pointe de verveine. J’ai grandi en partie à Grasse dans ma petite enfance et j’ai été profondément marqué par ces quatre parfums. La cuisine du sud, notamment la provençale, est pour moi symbole de pureté et de simplicité. On se baisse pour cueillir les trésors du potager, ceux du pointu qui rentre au port, ceux des arbres du verger. C’est le règne du paysage et de la saison, un Eden culinaire absolu. Je n’oublierai jamais les ratatouilles du jardin, l’agneau de l’arrière pays et les petits rougets pêchés du jour grillés sur une braise de sarments. Une vraie salade niçoise à l’ancienne est un chef d’oeuvre, une galinette simplement rôtie avec des herbes et du citron, un poème.  
 
4) Si vous deviez créer une « carte d’identité culinaire » de notre commune, qu’y mettriez-vous ?
Cavalaire est un port aux traditions anciennes, avec les pêcheurs et des bateaux qui rapportent leur trésor quotidien au petit marché au poisson du quai Marc Pajot. Combine en reste t-il ? C’est là que s’écrivent les premières lignes de cette carte d’identité culinaire. J’aime la cuisine à l’ancienne, qui met le produit de l’endroit et du moment en valeur, sans autres artifices techniques ou prouesses inventives. Celle que l’on servait il y a 50 ans au restaurant de l’Hôtel des Maures ou à celui de l’Hôtel des Bains, dont les plus anciens se souviennent encore. Je sais que je remonter à la préhistoire et que mes goûts sont périmés. Pourtant l’identité culinaire provençale est là et pas ailleurs, dans les artichauts à la barigoule, les beignets d’anchois ou de sardines, la soupe au pistou, la baudroie à la tomate, la daube aux oignons, rien que les grands classiques locaux, dont j’évite les clichés touristiques même si je sais que les meilleures bouillabaisses se préparent à Cavalaire… malgré leur rareté.  
 
5) Quels sont vos points communs et vos divergences à tous les deux dans le domaine culinaire ? Qui cuisine à la maison ?
Pour nous la bonne cuisine, c’est quand les choses ont le goût de ce qu’elles sont. Nous croyons à l’origine du produit, pour nous essentielle, une denrée doit toujours provenir de quelque part. Nous adorons comparer les aliments entre eux, ce peut être le melon, l’agneau, le fromage ou la fraise. Ceux qui sont nés quelque part, et cultivés comme tels, racontent toujours quelque chose de différent. Tel est notre credo. Nous communions toujours, au sens gustatif, autour d’un même plat. Nous ne divergeons jamais car nous avons les mêmes valeurs alimentaires et culinaires : l’authenticité des saveurs. Périco aime braiser et rôtir, Natacha s’occupe du dessert. 
 
6) Le monde agricole rencontre un certain nombre de difficultés ? Que peuvent /devraient faire les pouvoirs publics ? Les acteurs du secteur ? l'Europe … ?
La priorité des priorités est de permettre au monde agricole de vivre de son travail. Il faut accepter de payer les paysans au juste de prix et accepter de rétribuer honnêtement des femmes et des hommes qui se donnent beaucoup de mal pour nous faire beaucoup de bien. Malgré la loi Egalim, qui s’avère un fiasco (la preuve, le gouvernement en prépare une deuxième), la grande distribution et l’industrie agroalimentaire continuent à faire la loi et fixer les tarifs. Il faut inverser la tendance. En système libéral, c’est le producteur qui fixe son prix, en fonction de la rentabilité de son activité, pas le client. Eh bien dans le monde alimentaire, c’est le transformateur et le distributeur qui décident dans leur coin ce qu’ils vont accepter de payer. Cette équation n’est pas tenable. Plus de paysans, plus de produits. Plus de produits, plus de gastronomie. Il faut sauver ceux qui nous nourrissent toute en préservant la Terre. L’Europe a la solution, en appliquant la préférence communautaire. Nous sommes loin du compte.